Groupe TVA : la pérennité d’un diffuseur privé est en jeu

L’entreprise est forcée d’abolir des postes additionnels dans son secteur Télévision

 

Sonnant l’alarme sur l’avenir de TVA et l’avenir de l’industrie télévisuelle québécoise, le président et chef de la direction par intérim de Groupe TVA, Pierre Karl Péladeau, déclare :

 Groupe TVA, tout comme les autres diffuseurs privés, évolue dans un environnement qui ne cesse de se détériorer et continue de subir des pertes financières considérables, en plus d'être soumis à d'importants déséquilibres concurrentiels.

Dans ce contexte alarmant, Groupe TVA doit procéder à la suppression d’une trentaine de postes au sein de son secteur télévision et des équipes qui s'y rattachent. Ces équipes ont déjà subi d'importantes restructurations au fil des ans, dont deux majeures depuis 2023 ayant entraîné l’abolition de plus de 650 emplois, ce qui représente la moitié des employés de Groupe TVA. Nous avons également été contraints de faire des choix difficiles en raison de la situation financière, et forcés de réduire les budgets liés aux productions originales créées au Québec par des producteurs indépendants, membres de l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), en plus de retirer de notre grille de programmation des contenus prisés du public.

Malgré ces efforts de rationalisation, la situation est en déclin systémique. Les résultats financiers du premier trimestre 2025 de Groupe TVA, dévoilés le 5 mai 2025, l'illustrent une fois de plus. En trois ans, la perte nette totale de Groupe TVA s'est élevée à 76,1 millions de dollars. Ce fardeau financier est entièrement assumé par ses actionnaires qui ont vu la valeur de leurs actions disparaître au cours des dernières années.

Pourtant, les chaînes et les contenus de Groupe TVA sont les plus populaires au Québec. Est-il possible qu'un diffuseur qui a rejoint chaque semaine 80 % de la population à l'hiver 2025 soit en péril financièrement ? C'est pourtant la situation dans laquelle TVA se retrouve depuis les dernières années. Bien que nos parts de marché soient en croissance, les revenus publicitaires et d'abonnement, eux, continuent de chuter. Sur une période de trois ans, Groupe TVA a subi une perte de 27,7 millions de dollars des revenus publicitaires en télévision, en plus de voir son nombre d’abonnés et ses revenus d’abonnement diminuer en raison de la migration des auditeurs et de leurs dépenses en frais d’abonnement vers les plateformes américaines et les réseaux sociaux qui en plus, accaparent plus que jamais les revenus publicitaires.

Les défis sont grands, perdurent et plombent tous les efforts déployés pour rétablir la situation. Les instances gouvernementales doivent comprendre que la précarité de l'industrie télévisuelle ne fera que s'accentuer et réduira de façon significative les contributions fiscales des parties prenantes causant des pertes d’emploi alors que l’empreinte économique des entreprises étrangères est minimale.

Comme nous le savons tous, les entreprises de télédiffusion sont confrontées depuis plusieurs années à l'apparition de nouveaux joueurs que sont les entreprises de programmation en ligne américaines, les streamers. Le CRTC et les pouvoirs publics ont décidé, et toléré durant trop longtemps, de laisser aveuglement le champ libre aux entreprises en ligne étrangères sans admettre leurs réels impacts sur notre système de radiodiffusion, qui lui, exigeait de la part des diffuseurs au Canada une licence pour pouvoir y opérer assorti d’un fardeau réglementaire inutilement contraignant. Rien n’est malheureusement plus aberrant. Avec les nouveaux diffuseurs en ligne non licenciés américains, nous assistons à la destruction lente, mais devenue entre-temps accélérée, des diffuseurs canadiens. N'ayant jamais été réglementés, ils déstabilisent l'écosystème, accentuent les changements d'habitudes de consommation des téléspectateurs et participent à l'érosion de l'écoute et des revenus publicitaires sur les plateformes traditionnelles. Comment TVA peut-elle réussir à survivre dans un environnement aussi défavorable, qui demeure surréglementé et surtaxé alors que les géants du Web peuvent évoluer pratiquement sans contrainte?

Le gouvernement doit agir et protéger les emplois et les entreprises d'ici.

De plus, alors que la télévision peine à survivre, mais qu'elle demeure la principale source d'information de la population, il demeure difficile de comprendre pourquoi les gouvernements n'ont pas encore choisi d'élargir le crédit d'impôt pour la main d'œuvre journalistique au journalisme télévisé, au lieu de le maintenir uniquement pour la presse écrite. Une question se pose : pourquoi les gouvernements créent deux classes de journalistes qui font essentiellement le même travail pour notre démocratie? La frontière entre les médias écrits et audiovisuels instaurée artificiellement par cette exclusion sera immanquablement amenée à disparaître avec la numérisation. Il y a donc lieu d'agir sans attendre.

Parallèlement, le comportement outrancièrement commercial de Radio-Canada est un obstacle supplémentaire pour les télédiffuseurs privés comme TVA, dont la seule et unique source de financement est constituée des revenus publicitaires. Le diffuseur public livre, depuis trop longtemps, une concurrence directe et déloyale aux diffuseurs privés, en faisant la course aux revenus publicitaires, aux cotes d'écoute et à l'acquisition de contenus. Si la société d’État agit au détriment de son mandat et de sa mission sociale, elle bénéficie outrageusement d'un financement public constamment bonifié et démesuré qui ne semble pas satisfaire sa direction, qui en redemande, et qui exige en plus des frais aux citoyens pour ses services de diffusion alternatifs, comme Tou.Tv Extra, en plus d’utiliser sans vergogne les intégrations publicitaires dans ses émissions grand public. Un système de radiodiffusion fort et bien de chez nous passe par une complémentarité entre le public et le privé. Le mandat et les pratiques d’affaires du diffuseur public doivent absolument être recentrés et entraîner le retrait total de toutes formes de publicité sur l'ensemble de ses plateformes. Alors qu’il entame son deuxième mandat au ministère du Patrimoine canadien, le ministre Guilbeault ne devrait pas tergiverser et doit mettre en œuvre immédiatement l’entièreté des recommandations de sa prédécesseure déposées en février 2025 et qui font écho à celles émises dans le Rapport Yale en 2020.

Également, se poursuit le comportement anticoncurrentiel de Bell qui refuse de reconnaître la juste valeur marchande des chaînes spécialisées de Groupe TVA, particulièrement de TVA Sports, alors que tous les autres distributeurs du Québec et du Canada l’ont reconnue depuis plusieurs années. Le CRTC doit intervenir rapidement pour que Bell paie enfin une juste rétribution pour TVA Sports.

Et depuis peu, il faut ajouter à ce lot d’enjeux la récente baisse des enveloppes allouées par le Fonds des Médias du Canada (FMC), entraînant pour TVA une perte nette de 5 millions de dollars, seulement pour l'année 2025-2026, ce qui représente près d'un tiers de son budget précédent.

L'ensemble des problématiques qui paralysent l’industrie ont fait l'objet de nombreuses représentations, notamment de la part de Groupe TVA depuis plus d'une décennie, mais aucune réforme d'envergure n'a été adoptée afin de permettre à notre télévision de faire face à ces grands bouleversements. S’attaquer à ces problématiques pourrait avoir un impact significatif sur l'avenir des diffuseurs privés qui sont indispensables à la souveraineté culturelle et au maintien d'un système de radiodiffusion fort et bien d'ici.

Voulons-nous un paysage médiatique uniquement occupé par la télévision d'État et par les plateformes américaines, comme celles de META, réputées pour tolérer les « fausses nouvelles » ?

La fragilisation de TVA dépasse l’entreprise elle-même puisque sa précarisation menace la chaîne de création, de production et de diffusion culturelle au Québec. Il est crucial que les instances gouvernementales et réglementaires ainsi que tous les acteurs du milieu comprennent ces répercussions et adoptent enfin une vision à long terme pour trouver ensemble des solutions pérennes, avant qu'il ne soit trop tard.

Alors que ces dernières années ont été dramatiques pour le milieu culturel, avons-nous les moyens de voir des milliers d'emplois supprimés, dont ceux des artistes, des techniciens de régie, des caméramans, des éclairagistes, des preneurs de son, des monteurs, des auteurs, des réalisateurs, des musiciens, des animateurs, des journalistes, des décorateurs, des stylistes, des maquilleurs, des coiffeurs, et tant d'autres métiers professionnels qui s'activent sur les productions de TVA?

L'heure est grave pour les diffuseurs privés. Au cours de ses 60 ans en ondes, TVA a toujours proposé des émissions et des moments rassembleurs aux Québécoises et aux Québécois. Sa présence est un vecteur puissant pour notre culture et sa vivacité, pour notre démocratie et son expression. Si notre télé disparaissait, que resterait-il de notre culture commune, de nos histoires partagées et de notre identité? Que resterait-il de l’empreinte économique de nos entreprises et de leurs contributions philanthropiques? Il ne faut pas baisser les bras. 

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